VAYIGACHE (GEN 44:18 – 47:27)
Et Israël s’installa en terre d’Egypte, dans le pays de Gochen; ils en prirent possession et s’accrurent et se multiplièrent (Genèse 47: 27).
C’est ainsi que la Torah décrit le commencement du premier exil du peuple Juif quand Jacob et ses soixante-dix enfants et petits-enfants partirent de Terre Sainte et s’installèrent en Egypte.
A priori, ce fut un début agréable. L’un d’entre eux, Joseph, était, dans les faits, le dirigeant de l’Egypte. Gochen, la meilleure des terres de l’Egypte, était leur territoire. Et ils s’y installèrent réellement, trouvant le sol fertile pour leur croissance individuelle et communautaire, à la fois au sens matériel et au sens spirituel.
Mais le mot hébreu “Vayéa’hazou” exprimé dans le verset cité au-dessus, que nous avons traduit par: « et ils en prirent possession » se traduit également par: « et ils furent possédés par lui ». Les deux interprétations sont citées par nos Sages: Rachi traduit “Vayéa’hazou” comme appartenant à la même racine que le mot “A’houzah”: « une propriété terrienne » et « une ferme »; le Midrach l’interprète comme signifiant que « la terre les tenait et s’était emparée d’eux… comme un homme maintenu par la force ».
Le véhicule
Un paradoxe similaire décrit les sentiments de Jacob vis-à-vis de son nouveau foyer. D’une part, les dix-sept années de Jacob en Egypte sont considérées comme les meilleures années de sa vie. Par ailleurs, la Haggadah déclare que Jacob descendit en Egypte « forcé par le commandement divin ».
Cette dernière semble contredire la description que font nos Sages de Jacob comme étant une “Merkavah” (chariot ou véhicule) de la Volonté Divine, dont « chaque membre était totalement imperméable aux préoccupations matérielles et ne servait que comme véhicule pour accomplir la volonté de D.ieu à chaque minute de son existence ». Un tel « chariot » se serait-il senti « obligé » d’accomplir un commandement divin?
En réalité, cependant, c’est précisément parce que Jacob était si soumis à la volonté de D.ieu qu’il se sentit forcé dans son exil en Egypte. Car c’est là ce que D.ieu désire de nous: que nous nous investissions totalement dans la tâche de développer notre environnement en exil et en même temps ressentions le désir ardent d’en sortir.
Cette dualité définit notre attitude vis-à-vis de l’exil. D’un côté, nous savons que quelque hospitalier que soit notre pays d’accueil, et quel que soit l’épanouissement que nous avons pu y trouver, matériellement ou spirituellement, l’exil est une prison. Nous savons qu’il obscurcit notre vision spirituelle, entrave notre mission et compromet notre relation avec D.ieu. Car c’est seulement sur notre terre, avec le Temple comme résidence divine en notre sein, que nous pouvons percevoir la présence divine dans le monde, réaliser entièrement notre rôle de « lumière parmi les nations » et accomplir pleinement toutes les Mitsvot de la Torah.
Mais nous savons aussi que l’exil a un but. Nous savons que nous avons été dispersés de par le monde pour atteindre et influencer l’humanité toute entière. Nous savons que ce n’est que par les errances et les tribulations de l’exil que nous pouvons accéder aux « étincelles de sainteté et libérer ces petites parcelles de potentiel divin qui gisent réparties dans les coins les plus reculés du globe.
Aussi l’exil est-il une “A’houzah” dans les deux sens du terme: une propriété terrienne à exploiter et une prison que nous devons sans cesse chercher à fuir. En fait, il ne peut être que les deux en même temps. Si nous ne le considérons que comme une prison, nous n’arriverons pas à exploiter les extraordinaires opportunités qu’il renferme. Mais si nous évoluons confortablement dans cet environnement étranger, nous risquons d’en devenir une partie; et si nous devenions une partie de la réalité de l’exil, à D.ieu ne plaise, nous ne pourrions pas plus réussir dans nos efforts pour le développer et l’élever qu’une personne qui essaie de se soulever en enfonçant sa propre tête.
Aussi, quand Jacob conduisit les soixante-dix membres de sa maisonnée, les soixante-dix graines dont allait jaillir le peuple juif, vers le premier exil d’Israël, il le fit comme quelqu’un « forcé par le commandement divin ». En tant que « chariot » divin, Jacob n’avait aucune volonté propre, aucun désir, aucune aspiration en dehors de la volonté de D.ieu. Mais il savait véritablement que vouloir aller en Egypte, ruinerait le véritable but de sa mission là-bas.
Il savait que le secret de la survie d’Israël en exil est le refus de se réconcilier avec lui, le refus de l’accepter comme un état de fait normal, et encore moins désirable, pour le Juif. Il savait que seul celui qui reste conscient de sa situation d’exil réussira à le maîtriser et à en faire « sa propriété terrienne » dont il pourra tirer une récolte spirituelle magnifique.
La peur ou la douleur ?
C’est là que réside le sens profond du commentaire de Rachi sur Genèse 46: 3-4 où la Torah relate la façon dont D.ieu apparut à Jacob dans son voyage vers l’Egypte et lui dit: « Ne crains pas de descendre en Egypte, car là-bas Je ferai de toi une grande nation; Moi-même Je descendrai avec toi en Egypte et Moi-même t’en ramènerai ». Citant les mots « ne crains pas de descendre en Egypte », Rachi ajoute: « parce qu’il souffrait de la nécessité de quitter la Terre (Sainte) ».
A leur niveau le plus simple, les mots de Rachi viennent expliquer la raison des craintes de Jacob et son besoin d’être rassuré par D.ieu. A un niveau plus profond, Rachi nous dit pourquoi cette peur n’était vraiment pas justifiée. D.ieu assura à Jacob qu’il n’avait pas besoin d’avoir peur de descendre en Egypte « parce qu’il souffrait de la nécessité de quitter la terre (Sainte) ». Par le fait qu’il ressentait de la douleur devant la nécessité de quitter le saint environnement de la terre d’Israël, par le fait qu’il ne se sentirait jamais chez lui sur un sol étranger, cela constituait en soi la plus sûre garantie que lui et ses descendants survivraient à l’exil égyptien et émergeraient triomphants de ses défis.
Basé sur les discours du Rabbi, Chabbat Vayigach 5725 (12 décembre 1964) et à d’autres occasions
(source site http://www.loubavitch.fr)