PARACHA :VAYÉRA (GENÈSE 18 :1-22 :24)
Vayéra : deux formes de bonté
La Paracha Vayéra commence par le récit de l’apparition de D.ieu à Avraham à l’entrée de sa tente où il se reposait après s’être circoncis.
Mais quand Avraham observa que non loin de là se tenaient trois étrangers, il se leva, demanda à D.ieu de patienter et courut accueillir ces étrangers et leur offrir son hospitalité (Béréchit 18 :1-5 et commentaire de Rachi)
Ainsi, pour témoigner son hospitalité à des étrangers, Avraham n’hésita-t-il pas à laisser D.ieu attendre. En fait, nos Sages déduisent de la conduite d’Avraham que «l’hospitalité à l’égard de voyageurs est plus importante encore que de recevoir la Présence Divine» (Talmud Chavouot 35b.)
Un tel comportement d’hospitalité est devenu une partie intégrante de la conduite juive.
Et pourtant, Avraham n’avait pas, quant à lui, reçu un tel commandement. Qu’est-ce qui le conduisit donc à ressentir qu’il était convenable d’abandonner D.ieu pour le bien d’étrangers ?
Une conduite emprunte de bonté vis-à-vis d’autrui peut être motivée par deux types de sentiments : la grandeur bienveillante ou l’humilité.
Un exemple du premier se rencontre plus aisément chez un roi puissant ou un individu fortuné. Le sentiment de leur propre valeur ou de leur importance les conduit à agir de façon généreuse et bienveillante, «déversant à tous leur bonté».
Un exemple de bonté qui émerge d’un sentiment d’humilité se perçoit chez Avraham qui disait de lui-même «Je ne suis que terre et cendres». Parce qu’il ne sentait aucunement supérieur à quiconque, il estimait qu’il était naturel d’exprimer de la gentillesse à tous les hommes et de les honorer.
La bonté qui se dégage d’une telle abnégation de sa personne est supérieure à celle qui résulte d’un sentiment de magnanimité et ce pour deux raisons.
La bonté qui naît du sentiment que toute autre personne est plus méritante que soi permettra à l’individu qui l’éprouve de tout donner à autrui et de subsister par ce qui lui restera. Mais la bonté qui émerge de la magnanimité verra le donateur se garder pour lui-même la part du lion, ne donnant aux autres que ce qui lui reste.
Plus encore, la bonté magnanime ne se manifeste que lorsque le bienfaiteur ne souffre pas de sa propre générosité. La bonté de celui qui ressent un sentiment profond d’humilité ne sera pas freinée même s’il doit lui-même souffrir ou se priver.
Parce que la bonté d’Avraham et son hospitalité émergeaient de ce sentiment et de l’abnégation de sa personne, non seulement plaça-t-il sa propre vie en danger quand il s’agit de combattre des rois puissants afin de sauver la vie de ses proches, mais il était même prêt à risquer sa vie spirituelle, quelque chose pour lui de beaucoup plus important que la vie corporelle.
C’est ce type supérieur de bonté qui incita Avraham à faire attendre D.ieu pendant qu’il allait accueillir des étrangers.
Ce qui vient d’être dit jette la lumière sur les paroles de nos Sages qu soulignent qu’ «en mérite de notre patriarche Avraham qui prononça : «je ne suis que terre et cendres», ses enfants méritèrent les commandements des cendres de la Vache Rousse et la terre de la Sotah (commandements qui permettent de se faire pardonner par D.ieu).
Il existe un axiome selon lequel «D.ieu récompense mesure contre mesure». Quelle relation interne existe-t-il entre les propos d’Avraham et ces deux commandements.
L’accomplissement de ces deux Mitsvot est lié avec l’humilité et le sacrifice de la personne qui naissent de la conscience que l’on n’est que «cendres et terre».
Les cendres de la Vache Rousse utilisées pour purifier les hommes rendus impurs par un contact avec la mort avaient pour effet de rendre impurs ceux qui étaient impliqués dans leur préparation. C’est pourquoi la purification d’un individu par les cendres de la Vache Rousse nécessitait le sacrifice et l’abnégation de ceux qui procédaient au sacrifice.
Les cendres de la Sotah étaient également utilisées dans une cérémonie qui nécessitait un sacrifice spirituel puisque le rituel demandait à ce que l’on efface le Nom Divin. Pour pouvoir faire renaître l’harmonie entre un mari et une femme, la Torah prescrivait que le nom de D.ieu soit effacé, un acte dont le sacrifice trouve écho dans la bonté d’Avraham.
Une hypocrisie pure
A Beer Chéva, Avraham avait établi une auberge «Echel», ouverte aux quatre coins. Le Talmud explique qu’en dehors de permettre d’accorder l’hospitalité aux voyageurs, l’auberge d’Avraham lui servait également de centre pour faire connaître la vérité du D.ieu unique au monde païen. Quand les invités d’Avraham désiraient le bénir pour sa générosité, il s’exclamait : «La nourriture que vous avez consommée vous a-t-elle été fournie par moi-même ? Vous devriez remercier, louer et bénir Celui qui a fait exister le monde !»
Mais avec ceux qui, malgré tout, se refusaient à reconnaître D.ieu comme leur Créateur, Avraham utilisait une tactique moins aimable. Le Midrach relate que Avraham réclamait alors un prix exorbitant pour la nourriture qui avait été consommée. Quand l’homme protestait, Avraham rétorquait : «Qui vous donne du vin en plein désert, qui vous donne de la viande en plein désert, qui vous donne du pain en plein désert ?». Et quand l’invité réalisait dans quelle spirale il était tombé, conclut le Midrach, il cédait et proclamait : «Béni soit le D.ieu du monde dont la Providence nous a permis de nous restaurer».
Mais, pourrions-nous nous interroger : quelle valeur une telle proclamation obtenue sous la pression peut-elle posséder ? Ne sont-ce pas que de simples mots, vides de toute conviction quant à la vérité du D.ieu Un et ou de tout désir de Le remercier pour Sa Providence ?
Cependant Avraham avait une vision de l’humanité qui le persuadait que chaque acte, chaque mot, chaque parole ou chaque pensée positifs a de la valeur, quelque «superficiel» ou «hypocrite» qu’il puisse paraître à un œil moins averti. Car, quand Avraham regardait ses hôtes, il ne voyait pas en eux des païens mais des créatures de D.ieu créées à l’image divine et capables de le Créateur et servir Sa volonté.
La plupart du temps, un mot gentil, une main secourable peuvent mettre en lumière ce potentiel. Mais parfois, une âme peut être si enfouie sous les influences négatives et un caractère corrompu qu’une certaine «pression» est nécessaire pour faire céder sa résistance devant un acte divin. (Bien sûr, toutes ces formes de «pression» doivent se faire en accord avec la démarche de la Torah dont les voies sont «des voies de gentillesse et de paix», comme dans le cas de la demande parfaitement légitime d’Avraham de paiement.)
Avraham avait compris que jamais une reconnaissance de D.ieu ne sera hypocrite. Au contraire : la foi et le comportement païens constituent eux l’hypocrisie ultime car ils dévient du moi et de la volonté profonde de la personne. Quand une créature de D.ieu proclame : «Béni soit le D.ieu du monde dont la Providence nous a permis de nous restaurer», rien ne peut être plus en accord avec son moi le plus profond.